La danse est une activité sociale encore très en vogue de nos jours. Ses temples sont essentiellement les « boites » ou « night clubs » où l’on se trémousse individuellement aux sons assourdissants de « musiques » commerciales. La « musique » est à peu près la même de New York à Hongkong et de Helsinki à Wellington. Seules diffèrent les contorsions des danseurs, non en fonction du lieu, mais plutôt en fonction de l’inspiration (et de la souplesse) de chacun.
Car en ce début de XXIème siècle, la musique est « mondiale » et chaque danseur (car les danses « modernes » sont unisexes et individuelles) peut donner libre cours à sa « créativité ». Avec plus ou moins de bonheur…
Il en va de ces activités festives comme du reste. Le marché, omnipuissant, en a pris le contrôle à son profit, et les « danseurs » ne sont plus que des consommateurs compulsifs de décibels produits par les départements « culture » des grandes firmes multinationales.
Il n’en fut pas toujours ainsi. Autrefois, la danse était une activité éminemment sociale qui contribuait puissamment à la solidarité communautaire. Les danseurs et danseuses évoluaient ensemble, selon des figures traditionnelles, et même quand ils dansaient en couples, ces couples effectuaient des figures collectives avec échanges momentanés de partenaires. La danse était alors une activité collective et communautaire fort différente des gesticulations autistes d’aujourd’hui.
Que sont devenus les branles, les caroles, les quadrilles, les rigodons et les sarabandes de nos ancêtres ? Tout juste sont parvenues jusqu’à nous les bourrées, les gavottes, les gigues et autres tarentelles qu’il faut encore décliner selon leurs terroirs et leurs innombrables versions traditionnelles. A ces danses rustiques, il convient d’ajouter les danses de classes, dites « de salon » mais bien vite diffusées et assimilées par les différents peuples.
Mais revenons aux origines de la danse, longtemps avant qu’elle fût récupérée par des firmes commerciales omnipuissantes.
La danse, disions nous, était une activité communautaire, et même une marque communautaire. On dansait pour se réjouir, pour se défouler collectivement après une longue journée de travail harassant passée aux moissons ou au défrichage, où à l’édification d’une maison pour un jeune couple récemment marié. Mais c’était aussi une façon de marquer sa différence avec la « tribu » d’à côté. De nos jours, il faudrait presque aller en Afrique pour trouver des survivances de cette vie communautaire. Pourtant, avec un tout petit peu d’imagination, on peut en retrouver les marques dans ce qu’ont pu sauver les amoureux de leur culture locale. Voyons par exemple ce que les « folkloristes » bretons ont pu sauver.
Il faut d’abord comprendre qu’on pratique aujourd’hui indifféremment partout en Bretagne tout ce que les « folkloristes » on pu récupérer. On danse aujourd’hui sans états d’âme la danse Plinn en pays Fisel ou la « gavotte des montagnes » sur le littoral. Autrefois, on était beaucoup plus jaloux de son expression locale, voire, osons le mot, « tribale ».
Regardons d’abord cet exemple de danse « folklorique » bretonne : Il s’agit de danses organisées et spontanées lors du grand concours de sonneurs de Gourin, dans le Morbihan :
Sur ces images, on constate qu’il y a presque plus de jeunes que de vieux, ce qui est de bon augure pour l’avenir de cette tradition. Mais surtout, on peut observer le style de cette danse. Tous les danseurs, hommes ou femmes, se tiennent étroitement par la main et exécutent exactement les mêmes pas. Ces pas n’ont pas grand sens aujourd’hui ; on dirait que les danseurs « piétinent » d’une certaine façon, pas très « gracieuse » apparemment. C’est oublier qu’autrefois cette danse avait une tout autre allure : Il s’agissait de paysans, lesquels étaient chaussés de sabots, de sabots de bois. Et ces piétinements presque silencieux du fait des « baskets » et autres escarpins légers des danseurs d’aujourd’hui, marquaient puissamment le rythme autrefois : Non seulement les sabots heurtaient bruyamment le sol, mais ils s’entrechoquaient (la mention « retour du pied droit vers le pied gauche », si elle n’est qu’une simple figure aujourd’hui, signifiait autrefois un véritable fracas de sabots qui, avec les heurts des sabots sur le sol à chaque piétinement, marquaient le rythme). Les musiciens jouaient la musique, et les paysans marquaient le rythme, se servant de leurs sabots comme les Espagnols des castagnettes. Aujourd’hui, la plupart de ces danses bretonnes s’effectuent sur un parquet de planches pour que le bruit des pas résonne mieux. On est quand même loin du bruit des sabots sur les aires de battage d’autrefois.
Mais ces paysans n’avaient pas toujours à leur disposition un couple de sonneurs (bombarde et cornemuse), aussi dansaient-ils volontiers au son du « Kan ha Diskan » (chant et « déchant ») où deux chanteurs, se tenant généralement par la taille pour être plus solidaires dans le rythme, se relaient pour produire ensemble une mélopée rapide et heurtée, sans reprise de souffle ni interruption, sur laquelle les danseurs et danseuses vont battre le rythme avec leurs sabots. En voici un exemple (le bruit des sabots en moins, faute de… sabots) :
Quiconque observe tout cela et se replace dans les conditions originelles voit bien qu’il s’agit là de danses tribales, « ethniques » même ! C’est la fièreté et l’émulation entre tous ces « terroirs » (en Europe on dit plutôt « terroir » que « tribu » ou « ethnie », tant nos variétés ethniques sont profondément enracinées alors qu’ailleurs, elle sont plutôt nomades) qui constitue notre substrat européen.
J’ai développé surtout autour de la Bretagne que je connais mieux, mais tout cela peut aussi s’observer ailleurs en France. Voyez par exemple cette danse du sabot originaire du massif central :
Mais au delà de ces danses purement tribales ou ethniques, il y a aussi les danses dites « de salon » dont certaines sont devenues localement de véritables institutions, surtout dans les grandes métropoles où les danses « ethniques » n’ont plus beaucoup de sens, étant donné la diversité de la population. Ainsi, certains « folklores » naquirent-ils spontanément dans certaines grandes villes : la valse à Vienne, le fado à Lisbonne, la polka et la mazurka à Varsovie, la java et le cancan à Paris et… le tango à Buenos Aires. Ce tango qui est sans doute la danse la plus sensuelle et dramatique qui ait jamais été imaginée, et qui pour cette raison a traversé les océans et est devenue internationale. Il existe une version « de salon » du tango, mais rien ne vaut l’original :
Il s’agit là d’un spectacle de rue, donc de « professionnels » mais ils ne font que broder un peu sur des pas on ne peut plus classiques, et qui s’apprennent :
Il est bien dommage que notre jeunesse aculturée ait presque totalement délaissé tout ce magnifique patrimoine. D’autres l’ont semble-t-il repéré, ce patrimoine et l’ont récupéré :
Etonnant, non ?
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